Depuis quelques temps, les couloirs de la Commanderie étaient vides. Les regards fuyants, les conversations plus rares, et à voix basse. Un malaise en suspension planait sur le sombre édifice. Oh, les choses n’avaient jamais été très joyeuses, à part au tout début ! Mais qui s’en souvient !? Bien des années se sont écoulées, depuis. Les mémoires se sont peu à peu effacées, le rythme ralenti… aujourd’hui encore, certains se prennent à ne pas retrouver leur chemin. Est-ce que cet endroit est vraiment leur maison, finalement ? N’est-ce pas l’endroit où l’on est se sentir le mieux ? Pourquoi ce malaise permanent, alors ?
Il y a eu des départs. De nombreux… et peu d’arrivées, même si elles ont été un souffle d’air chaud dans les couloirs froids de la Commanderie, quoique trop rares et trop vite essoufflés.
Il y a eu des changements, aussi. Trop peu, trop lents. Une sorte de latence régnante possédait la Commanderie, et les choses n’avançaient pas. Etait-ce de la mauvaise volonté, de l’incompréhension, ou simplement la magie des lieux ? Parfois, on avait l’impression de suffoquer.
Les préparatifs durèrent, car nombre étaient ceux qui avaient des affaires urgentes à régler, à droite ou à gauche. Nara essayait autant que possible d’éviter de croiser Lock. Il avait pris sa décision, et tout cela appartenait déjà au passé, dans son esprit. Il ne souhaitait pas le conflit, il était simplement las et fatigué de devoir toujours se battre, pour avancer, se battre pour grapiller le moindre consensus. Et encore, c’était déjà une énorme victoire de l’obtenir ! Cette vie là, il ne la souhaitait plus. Depuis qu’il avait résolument pris sa décision, il se sentait plus léger, plus jeune aussi ! Il n’avait jamais été aussi en forme, et apaisé. Les préparatifs avaient pris du temps, mais l’heure du départ vint un beau jour.
Précédé par ses compagnons, ils n’emportèrent que le strict minimum, laissant derrière eux une partie de leur existence. Ils s’arrêtèrent dans la cour, où se trouvaient déjà une partie du reste de la Commanderie. Nara les avait prévenus qu’il avait une nouvelle à leur annoncer.
Il s’exprima ainsi :
« Mes amis… », il prit une profonde inspiration.
« Comme vous le voyez, ce matin, nous sommes sur le départ. En réalité, cela fait déjà plusieurs semaines, que dans nos cœurs, nous sommes déjà ailleurs, dans une cité ensoleillée où règne la vie et la liberté, la joie, la légèreté. Nous partons fonder la cité d’Ankh-Morpork.
Peut-être vous demandez-vous la raison de notre départ. Peut-être la comprenez-vous, peut-être que non. Les raisons sont multiples et simples à la fois. Nous ne vivons qu’une seule vie, nous avons préféré la vivre ailleurs, car celle-ci, à bien des égards, ne nous correspondait pas. Certains l’ont compris plus rapidement, d’autres en ont été victimes, mais aujourd’hui, le passé importe beaucoup moins que notre avenir. Et ce futur, nous le voyons autre part, dans une Cité qui nous correspond réellement, peuplée par des habitants qui partagent les mêmes sentiments.
Cette cité est libre. Nous pouvons accueillir quiconque décidera de nous suivre, sans a priori ni mauvais égard. Nous partons sans regret ni rancune. Nous avons beaucoup partagé, lors des années passées ici. Dans le mauvais sens parfois, mais aussi dans le bon sens. Aussi, si vous souhaitez nous rendre visite ou même nous revoir au détour d’un sentier, nul doute que nous serions heureux de trinquer avec vous au souvenir de cette existence. »
Il tourna son regard vers Lock.
« Je dois te dire, en toute honnêteté, que les Gardiens Ancestraux seront le fondement religieux de cette ville. Je ne souhaite pas débattre une éternelle fois, Lock. J’espère simplement que la paix apaisera enfin ton cœur. Le plus beau cadeau que tu puisses me faire, en guise d’adieu, serait de tracer enfin un trait sur un passé tumultueux, et de laisser l’avenir décider seul de tes relations avec Domino. J’espère de tout mon cœur que tu comprendras. »
Il se tourna alors vers le reste des Olonams.
« Est-ce que certains souhaitent poursuivre leur chemin à nos côtés ? »